Aïkido et martialité

Dragon Magazine publie en ce mois de juillet 2018, un nouveau numéro hors série dédié à l’Aïkido.  De nombreux enseignants et pratiquants d’arts martiaux se sont penchés sur le thème de l’Aïkido et la martialité. Retrouvez dans cet article l’intégralité du développement réalisé par notre enseignant Olivier Eberhardt, qui nous livre ses impressions et la vision de la martialité dans l’Aïkido d’Iwama tel qu’enseigné au Japon par SAITO Hitohira sensei.

La martialité : Une unité de l’esprit et des énergies

Le développement de l’Aïkido revêt aujourd’hui une multitude de courants et pratiques qui, si l’on se tient à leur origine commune, possèdent en leur racine une des composantes essentielle du Budo : La martialité.

La pratique ascétique de Ô sensei Morihei UESHIBA, les valeurs développées, l’impact de la religion Shintoïste et de nombreux autres éléments poussent à considérer l’Aïkido comme un art martial efficace disposant d’un code moral et philosophique visant le dépassement de soi dans un esprit pacifique. C’est cet ensemble qui pousse à considérer l’Aïkido comme un Budo authentique. Dans la pratique de l’Iwama Shin Shin Aïkido, la notion de martialité s’exprime sous différentes formes. Mais c’est principalement les notions d’efficacité martiale, d’engagement personnel et de liens avec la philosophie Shinto que l’on cherche à développer.

La martialité dans la relation à l’autre.

Au-delà des interrogations soulevées par l’enseignement technique de l’Aïkido, construire une pratique martiale qui développe des qualités guerrières liées au combat s’organise dans la relation à l’autre. Le partenaire-adversaire, la ou les personnes avec qui l’on s’oppose et qui nous renvoient à notre propre condition de pratiquant sont essentiels. Que cela soit d’un point de vue technique, physique ou mental, la martialité s’exprime dans la relation à l’autre. « Vous devez attaquer fermement, mettre votre partenaire sous pression et le pousser à la faute. Si vous ne le faites pas, il n’apprendra rien. Sa pratique ne s’améliora pas. Votre entraînement ne sera qu’un jeu, une chorégraphie » explique SAITO Hitohira sensei dans son enseignement.
Il est donc important de considérer le Keiko au sens de ce qui a été réalisé avant pour le dépasser. Ce qui concerne tout le monde, du débutant à l’enseignant. Chacun construit son cheminement et se mesure à lui-même selon son « niveau » de pratique et au travers de la relation à l’autre sur et en dehors du tatamis. « Mettre sous pression son partenaire » ne signifie pas le bloquer inutilement, ni lui faire mal, cela signifie plutôt le pousser à se dépasser, exploiter ses erreurs, ses hésitations pour lui montrer qu’à cet instant « il risque sa vie et présente une ouverture exploitable martialement ».

C’est aussi un formidable outil de lecture et de compréhension de l’autre et de nos propres défauts et axes de progression. « Le Keiko n’est pas juste un entraînement, c’est une question de vie ou de mort. Dans le Budo la règle est simple, si vous êtes immobilisé par une saisie et que vous n’arrivez pas à vous en défaire, vous êtes mort », exprime aussi SAITO Hitohira sensei. La 1ère base du Budo consiste à être naturellement capable de se défaire de son adversaire. A cette différence et difficulté qu’en Aïkido on ne cherche pas à détruire l’autre mais à le contrôler, le dissuader de l’inutilité de son agression. Ce qui n’est pas une mince affaire lorsque l’on place cela dans une réelle situation de combat, sans tatamis pour amortir une chute éventuelle ni conventions d’engagement… Cette notion de vie ou de mort dans le keiko fait le lien avec l’attitude guerrière de l’art martial dont l’une des idées première était de survivre sur le champ de bataille. Il s’agit bien d’un moyen d’affûter en même temps esprit et techniques. Ceci dans l’objectif de nous élever, de polir son attitude. Aller sur le tatamis sans conserver cela à l’esprit fait perdre des notions primordiales du Budo. Le pratiquant doit bel et bien s’adapter et faire face aux intentions de son partenaire tout en lui imposant distance, mouvements et une véritable présence qui ne s’enferme pas dans une routine entendue.

L’engagement personnel et la recherche d’une unité.

L’entraînement est bien entendu un contexte particulier de pratique. S’il est sécurisé par rapport à son contexte de réalisation (un lieu identifié, une étude dirigée par l’enseignant,…), son essence doit extraire le pratiquant d’un contexte fermé, dénué d’incertitudes où les élèves connaissent clairement ce qui va se produire. Ce qui édulcore clairement la notion d’efficacité martiale. S’ajoute à cela, la difficulté de construire un enseignement qui intègre des notions essentielles de distances, respiration, timing, attitude mentale, force, vitesse, angles et perspectives sans compétition ni système de valorisation autre que le travail sur soi. L’Aïkido n’est définitivement pas un sport et n’offre que peu de récompenses extrinsèques. Les motivations qui poussent à poursuivre son étude avec intensité, dans une direction donnée et avec régularité son propres à chacun. Les instructions données par l’enseignant sont limitées et positionnée dans un cadre particulier à un moment précis. L’attitude martiale nécessite d’aller au-delà et de construire sa propre pratique en dehors du cadre exclusif du Keiko.

L’acquisition de compétences passe par une pratique régulière et un engagement personnel qui fluctuent au grès des disponibilités, du contexte personnel et autres aléas. La recherche martiale pose des questions et l’on peut même s’interroger sur la nécessité de pratiquer certaines techniques. L’étude des armes est-elle encore nécessaire aujourd’hui dans la recherche d’efficacité. Devoir mener en 2018 un combat réel contre un adversaire armé d’un sabre est plutôt rare… La recherche technique est une étape dans la construction du Budoka, mais n’est pas une finalité en soi. Dépasser la technique, s’émanciper pour se situer au centre des choses sans se bloquer dans une réalisation technique apparaissent comme essentiels. C’est cette recherche d’unité, qui permet de ne pas s’enfermer dans une situation conflictuelle et qui ouvre le champ des possibles que nous recherchons. Aïki-ken , Aïki-jo, Taijutsu et applications multiples contre un ou plusieurs adversaires suivent les mêmes principes et sont indissociables. Dans le Budo, il ne s’agit pas uniquement de montrer ce que l’on sait faire techniquement, mais de souligner les aspects de notre pratique, les éléments clés qui constituent les fondements de ce que l’on développe. C’est cette recherche d’unité dans son engagement personnel sur et en dehors du tatamis qui est recherché. Unifier ces ensembles est complexe et marque très clairement la frontière entre la pratique sportive et l’art martial.

L’impact de la religion Shinto dans l’expression de la martialité.

Au sein de l’Iwama Shin Shin Aïki Shuren Kai, la religion Shinto est très présente dans le quotidien. Me SAITO Hitohira étudie et adresse quotidiennement des Norito (Prières Shinto) avant le début de chaque keiko. Prières et méditations sont pratiquées collectivement de manière à accéder à une préparation mentale permettant de marquer le respect de nos prédécesseurs. Au-delà des croyances religieuses qui sont propres à chacun, l’impact de la religion Shinto peut-être considérée comme une recherche personnelle de dépassement de soi. Cela se traduit principalement dans la religion Shinto par le fait que : « Le Koshinto (1) encourage chacun à s’entraîner mentalement et spirituellement, de manière individuelle, afin d’améliorer son propre caractère. Dans le shinto, il est important pour chacun d’expérimenter et ressentir par lui-même, et non d’utiliser le langage pour contraindre les autres à croire d’une autre façon » explique Motohisa Yamakage (2).

Cette démarche entre en complète résonnance avec la philosophie propre au Budo. L’idée est bien d’expérimenter, de façonner son attitude, de polir son esprit dans un but d’accomplissement, d’amélioration de soi, « de purification ». On trouve d’ailleurs cette notion de purification dans le Misogi (3). A Iwama, le berceau originel de L’Aïkido, cette dimension est très importante. On retrouve d’ailleurs dans les différentes religions des pratiques purificatrices similaires qui visent à « améliorer » le corps, le cœur et l’esprit d’un individu. Ô sensei Morihei UESHIBA défini son Budo comme « un misogi », une méthode pour nettoyer son corps et son esprit. C’est ce que reprend fidèlement SAITO Hitohira sensei dans son enseignement. Cette continuelle recherche d’amélioration d’enlever l’inutile pour aller à l’essentiel, se retrouve dans la pratique de l’Aïkido. Eveil de l’âme, respiration, esprit unifié, une attitude libre, sont autant de principes issus du Shintoïsme que l’on retrouve dans un Budo authentique. Les fondements de l’Aïkido sont présents dans chaque élément de la pratique et leur expression est multiple. C’est cette richesse de l’art martial, son unité dans la construction de soi que nous recherchons.

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(1) Koshinto : Le shinto originel des temps anciens 古神道
(2) Motohisa Yamakage: Shinto, sagesse et pratique, édition Sully 2012.
(3) Misogi: fait référence à l’idée de se baigner dans l’eau et est associé d’un point de vue religieux à l’idée de purifier son corps et son âme.